Intervention dans le
cadre du festival du film gay et lesbien de Nîmes
Dimanche 4 avril 2004
Intro :
Présenter en raccourci « les questions trans » est un exercice délicat car le propos est
rapidement réducteur, voire caricatural.
Pourquoi « les questions trans » au pluriel ?
Parce que la première difficulté est celle du vocabulaire.
De quoi parle-t-on en effet ? et avec quels mots ?
Querelle de termes, querelles de sens. Car comment se définir en utilisant des
termes impropres, des termes stigmatisants, des
termes inventés par la société dominante pour tenter de cerner, voire de
détruire, cette remise en cause fondamentale d’un tabou décrété
intouchable.
Donc, ici, en quête du sens des mots, on se rabat sur les termes utilisés par
"l’adversaire". On dira homme et femme, ou parlera de sexe, de
genre, de trans quelque chose.
Parce que le parti pris est de laisser chacune et chacun libre de se désigner,
il ne sera pas question d’expliciter les sens complexes de « transsexuelLEs » ou « transgenres
». on dira « trans » pour
tout le monde.
On dira « trans » pour les travestis, les queer, les mutantEs de toutes
sortes, les gender-queer,
les gender-variant, trans-fluid
et autres multiples déclinaisons des possibles en rébellion contre la police
des sexes et des genres.
Il n’y a pas, on le pressent, seulement deux sexes. Ni trois
d’ailleurs. Il y en a autant que d’êtres humains.
Alors, on ne se limitera pas à « une » question trans,
mais on suspectera qu’il y en a de multiples.
Part I
Qui suis-je donc ? et « qui » ne se limite pas à ma
petite personne.
Qui me désigne ? qui me nomme ?
Est-ce mon anatomie ? est-ce la mention de mon sexe au
moment de ma naissance ? est-ce l’assignation
dans une catégorie de sexe, jour après jour inculquée par la violence au
besoin, dans mon inconscient au point de me faire croire que toute réalité est
forcément postérieure à cette désignation initiale en forme d’état
d’indisponibilité de ma personne ?
Pourquoi ne puis-je « avorter » de cette assignation ?
Pourquoi, et au prix de combien d’années de violences contre moi même, de
renoncements en reniements, pourquoi cette assignation finit-elle par être
combattue, repoussée, reconstruite ?
C’est la première question trans.
Celle qui dit, qui écrit l’inadaptation face à cet ordre donné.
Face à cet « état » qui semble tellement inimaginable de contester.
Qui vaut aux trans l’étiquette de psychotique,
de « border-line », en tout cas d’être frappéEs de l’étiquette de la déraison.
Est-ce par un défaut quelque part que je suis trans ?
Est-ce parce que je me suis construite patiemment sur le chemin de ma
transition ?
Est-ce parce que je suis rebelle ?
Est-ce parce que vivre libre c’est d’abord « connais-toi toi même »
et que les trans vont au bout d’une certaine
forme de connaissance de soi ?
Je n’ai pas la réponse. Et si la question fait
des débats ravageurs entre l’inné et l’acquis, comme un temps le
gêne de l’homosexualité, c’est sans doute par un étrange besoin de
se sentir victime de son propre sort. Besoin assez fréquent chez les trans, mais pas que chez les trans.
Ma réponse provisoire serait : « je suis trans et
fière d’être trans. Parce que je suis fière d’être parvenue à être
moi même », cette fierté/orgueil mal placée me sert de caryotype.
Part II
Qui suis-je donc et par rapport à qui ?
Si j’ai été dite « homme » que suis-je donc une « femme » ?
Est-ce que cette question a réellement un sens ?
Depuis Monique Wittig, on sait que la société hétérosexuelle est un système politique.
Que l’assignation dans une catégorie de sexe est loin d’être une
simple affaire de génétique ou de reproduction, mais sert les intérêts de
domination d’une caste politique sur une autre.
Mais je ne vais pas refaire ni la démonstration de Wittig, ni les débats
structuraux sur le post féminisme.
En ce sens, être trans, c’est être libre, mais
c’est aussi être rebelle et traître à la caste assignée.
Etre trans, c’est être « politique ».
C’est la deuxième question trans.
A quoi ça sert, d’être trans, au-delà du combat
individuel pour être soi même, et à supposer que je parvienne à vivre en paix
entre ma vie d’avant, ma vie d’après, les contorsions de
l’histoire et celles de la vie que je construis.
Ca quoi à sert, tout ça, chantait l’autre Maxime… est-ce pour
retomber dans une quiétude caricaturale de l’assignation dans
l’autre sexe/genre ?
Etre trans, est-ce juste « transitionner
» et puis pfuittt, plus rien ? les
standards sociaux et leur cortège de comportements caricaturaux ? la femme au foyer, maquillée, pomponnée, radieuse dans son
éternel féminin et sa chasse exponentielle à ce rapport de séduction jamais
assouvi parce que finalement, à l’autre, là, devant moi ou dans mon lit :
que dois-je faire ? lui dire, le taire ? taire ? dire ? … qui je suis
et qui j’ai été ?
Et l’homme trans, la
dedans ? on l’oublie toujours, l’homme
trans.
Pourtant, ils sont 50% des coming out, de nos jours.
Etre homme et sans bite. En tout cas sans bite fonctionnelle au sens de la
masculinité entretenue par des millénaires de phallus pré-lacaniens,
et sans doute aussi, hélas, par les femmes trans
revenues de cet enfer, mais qui continuent, malgré elles, à valoriser
l’engin au prix de savantes convulsions sémantiques.
Je le dis : les hommes trans sont l’avenir des
femmes trans. Car ils ont trouvé l’équation qu’elles n’ont
pas, passé trop lourd à gérer sans doute, et qui consiste à être soi sans
vouloir être l’autre. Trop sibylline, ma formule ? nous
en débattrons.
Part III
Qui suis-je, et quelles sont les figures imposées par la société, une fois que
la rébellion est caractérisée, pour me « tolérer » un espace d’existence
?
Autrement dit, qu’est ce que la société veut bien que je devienne, quitte
à accepter le coup de canif dans la mécanique de l’assignation.
C’est la troisième question trans.
Car je percute bien entendu, quel que soit mon point d’arrivée, toutes
les certitudes. Je fais peur. Très peur même.
La société me voudrait hétérosexuelle.
Elle fait tout pour cela.
D’abord, par l’eugénisme, imposant la stérilité en contrepartie de
la rectification de l’état civil.
Ca ferait désordre, si une femme faisait un enfant à une autre femme.
Dire qu’on est homosexuelle, gay ou lesbienne, lorsqu’on est trans, c’est souvent ajouter un placard dans le
placard. Un double placard, ça finit par faire épais.
Bref, être trans, c’est politiquement correct
si on est hétéro. Hétéro-clit’, en quelque
sorte.
Mais être trans et être lesbienne, ou pédé,
n’est pas toujours facile à concilier : dans une parfaite similitude de
comportement hétéro-projeté, on connait
moult anecdotes croustillantes sur certains gays qui refusent de considérer
comme des hommes ces hommes sans bite et certaines lesbiennes qui se sentent
envahies par cette cinquième colonne andro-patriarcale.
Même si la connaissance des questions trans est
meilleure, dans la « communauté » LGBT, on voudrait encore croire, parfois, que
les filles trans sont des homos qui ne
s’acceptent pas comme « tels » et les garçons trans
des lesbiennes incapables d’aimer leur corps.
Parce que finalement, cette question d’être femme, d’être homme,
les trans la posent à tout le monde : et si les biEs se trouvent parfois des similitudes dans une forme
d’exclusion condescendante avec les trans,
c’est que dans ce monde binaire, franchir la ligne jaune dérange la
vision claire et limpide des certitudes gravées dans le titane.
On ne le dira jamais assez : les trans remettent en
cause autant les lesbiennes et les gays que les hétéros.
Comment être sûrE de sa propre féminité si cette
femme, là, peut jouir de cette « liberté de se définir » d’un seul mot
chargé de millénaires d’oppression et de domination hétéro patriarcale ?
Comment être sûr de sa propre masculinité si ce barbu souriant, là,
s’affirme un homme, mon « égal » sans disposer des attributs phalliques
supposés coïncider avec les preuves de ma toute puissance ?
Part IV
Les trans font peur.
Celles et ceux qui revendiquent le « grand bond en avant » et
l’appartenance, parfois (hélas) psalmodiée en boucle sans fin, à
l’autre des deux genres/sexes reconnus d’utilité publique et
hétérosexuelle.
C’est angoissant pour le mâle ou la femelle moyenne, mais
conceptuellement, avec un peu d’effort, on arrive à construire une vision
approchante de cette transitionnelle réalité….
Faisons, pour finir, épaissir encore un peu l’opacité de la démonstration
sémantique, par un petit détour, et oublions un instant ces puristes de la
définition duale des sexes et des genres.
Au-delà de la revendication transsexuelle pure et dure, de la sainte, et fort
respectable par ailleurs, trinité « hormones/chirurgie/état civil »,
d’autres revendications pointent le bout de leur nez queer.
C’est la quatrième question trans.
Car à la question, « qui suis-je ? », certainEs choisissent
de refuser l’assignation duale.
Etre un garçon trans et vouloir jouir par son
clitoris, revendiquer son droit à jouir en tant que femme avec un pénis,
recomposer après les avoir requestionnés, les rôles
sociaux assignés aux genres, de nouvelles formes de rébellion se structurent et
apparaissent dans le champ des revendications.
Le choix ne sera bientôt plus dans une forme « autorisée » de transition, mais
une transition « à la carte » en fonction de son positionnement dans le
continuum des genres, dans la transgression de plus en plus large de la
frontière des sexes.
Transition « à la carte » excluant notamment une forme imposée d’étapes
chirurgicales, transition partielle ou du moins adaptée à ce refus du binarisme
comme corollaire de la revendication de liberté.
Ces transitions, tant celle qui construit le passage sans retour dans le genre
qui ne figure pas sur l’acte de naissance, que celle qui détricote
partiellement les certitudes de la dualité des sexes/genres pour construire un
agrégat stable empruntant à des situations décrites comme opposées, ces
transitions questionnent pesamment l’assignation dans une catégorie de
sexe.
C’est un nouveau paradigme qui se dessine, que Wittig avait entraperçu,
et qu’une vision queer des questions trans peut décrire comme la réalité individuelle, sociale
et politique d’un « droit à
l’auto détermination sexuelle ».